La Protection Juridique des Réserves de Biosphère : Enjeux et Perspectives

Le statut juridique des réserves de biosphère représente un défi majeur pour la préservation des écosystèmes mondiaux. Ces territoires, reconnus par l’UNESCO dans le cadre du programme MAB (Man and Biosphere), constituent des laboratoires vivants où s’expérimente la cohabitation entre activités humaines et conservation de la biodiversité. Pourtant, leur protection légale reste souvent fragile, oscillant entre réglementations internationales non contraignantes et dispositifs nationaux hétérogènes. Face aux menaces croissantes – changement climatique, pressions démographiques, exploitation des ressources – l’arsenal juridique entourant ces espaces nécessite un renforcement substantiel. Cette analyse approfondie examine les fondements, les limites et les perspectives d’évolution du droit applicable aux réserves de biosphère à l’échelle mondiale.

Fondements juridiques internationaux des réserves de biosphère

Les réserves de biosphère tirent leur légitimité première du Programme sur l’Homme et la Biosphère (MAB) lancé par l’UNESCO en 1971. Ce programme visionnaire a posé les jalons d’une nouvelle approche de conservation intégrant l’humain dans l’équation environnementale. Toutefois, contrairement à d’autres désignations comme les sites du patrimoine mondial, les réserves de biosphère ne bénéficient pas d’une convention internationale spécifique juridiquement contraignante.

Le Cadre statutaire du Réseau mondial des réserves de biosphère, adopté en 1995 lors de la Conférence générale de l’UNESCO, constitue le socle normatif principal. Ce document définit les critères de désignation, les fonctions et le zonage caractéristique (zones centrales, tampons et de transition) des réserves. Néanmoins, ce cadre reste un instrument de soft law, dépourvu de force obligatoire directe dans les ordres juridiques nationaux.

Les réserves de biosphère s’inscrivent dans un écosystème juridique international plus vaste composé notamment de la Convention sur la diversité biologique (1992), la Convention de Ramsar sur les zones humides (1971), la Convention sur le commerce international des espèces menacées (CITES, 1973) et l’Accord de Paris sur le climat (2015). Ces instruments offrent une protection indirecte aux réserves de biosphère lorsque celles-ci abritent des éléments relevant de leur champ d’application.

La Stratégie de Séville (1995) et le Plan d’action de Lima (2016-2025) complètent ce dispositif en fixant des objectifs stratégiques pour les réserves de biosphère. Ces documents d’orientation, bien que non contraignants, influencent considérablement les pratiques nationales et locales de gestion. Ils préconisent notamment l’adoption de cadres législatifs adaptés au niveau national pour garantir le fonctionnement effectif des réserves.

Une particularité juridique des réserves de biosphère réside dans leur gouvernance multi-niveaux. L’UNESCO reconnaît ces territoires sur proposition des États, mais leur gestion effective relève des autorités nationales, régionales ou locales, créant ainsi une superposition de compétences parfois source de complexité. Cette architecture institutionnelle nécessite des mécanismes de coordination sophistiqués entre les différentes strates décisionnelles.

Le statut ambivalent des réserves dans le droit international

La position des réserves de biosphère dans la hiérarchie des normes internationales demeure ambiguë. N’étant pas issues d’un traité international ratifié par les États, elles ne génèrent pas d’obligations juridiques directes. Cette situation crée un paradoxe : ces territoires d’exception, reconnus pour leur valeur écologique exceptionnelle, ne bénéficient pas d’une protection juridique proportionnelle à leur importance.

Les tribunaux internationaux, comme la Cour internationale de Justice, n’ont que rarement eu l’occasion de se prononcer spécifiquement sur le statut des réserves de biosphère. Cette absence de jurisprudence consolidée contribue à l’incertitude juridique entourant ces espaces.

  • Absence de convention internationale spécifique
  • Caractère non contraignant du Cadre statutaire
  • Protection indirecte via d’autres instruments internationaux
  • Gouvernance complexe à multiple niveaux

Transposition dans les droits nationaux : une mosaïque d’approches

La transcription du concept de réserve de biosphère dans les législations nationales révèle une hétérogénéité remarquable. Certains États ont fait le choix d’intégrer explicitement cette désignation dans leur corpus juridique, tandis que d’autres privilégient l’utilisation de catégories préexistantes de protection des espaces naturels.

En France, les réserves de biosphère ne constituent pas une catégorie juridique distincte. Leur protection repose sur un assemblage d’outils préexistants : parcs nationaux, parcs naturels régionaux, réserves naturelles, sites Natura 2000, etc. Cette approche pragmatique s’appuie sur le Code de l’environnement mais génère parfois des discontinuités dans la protection, notamment dans les zones de transition où les contraintes juridiques sont moindres.

À l’inverse, l’Espagne a choisi d’accorder une reconnaissance explicite aux réserves de biosphère dans sa législation nationale. La loi 42/2007 sur le patrimoine naturel et la biodiversité définit précisément leur statut juridique et instaure un comité national dédié. Cette approche confère une visibilité et une cohérence accrues à la gestion de ces espaces sur le territoire espagnol.

Le Mexique représente un cas d’étude intéressant avec sa loi générale sur l’équilibre écologique et la protection de l’environnement. Ce texte intègre les réserves de biosphère comme catégorie spécifique d’aires naturelles protégées, leur conférant ainsi une protection juridique directe. Cette reconnaissance législative s’accompagne de dispositions détaillées concernant leur gestion et les restrictions d’usage applicables.

Dans les pays à structure fédérale comme l’Allemagne, la situation se complexifie davantage. Les compétences en matière environnementale étant partagées entre l’État fédéral et les Länder, la protection juridique des réserves de biosphère varie considérablement d’une région à l’autre. Certains Länder, comme le Brandebourg, ont adopté des législations spécifiques, tandis que d’autres s’appuient sur des dispositifs généraux de protection de la nature.

Les outils juridiques mobilisés

Au-delà de la reconnaissance formelle, les instruments juridiques mobilisés pour protéger les réserves de biosphère couvrent un large spectre. Le droit de l’urbanisme joue un rôle crucial à travers les documents de planification territoriale qui peuvent restreindre ou orienter le développement dans et autour des réserves. Les servitudes environnementales, les contrats agroenvironnementaux et les mécanismes d’évaluation d’impact environnemental complètent cet arsenal.

La fiscalité environnementale constitue un levier souvent sous-exploité. Certains pays ont développé des incitations fiscales pour encourager des pratiques compatibles avec les objectifs des réserves de biosphère. Ces dispositifs incluent des exonérations partielles de taxe foncière pour les propriétaires adoptant une gestion durable de leurs terres ou des crédits d’impôt pour les investissements écologiques.

Le recours aux outils contractuels s’avère particulièrement pertinent dans les zones de transition où les contraintes réglementaires sont limitées. Les chartes, contrats territoriaux et autres conventions de partenariat permettent d’impliquer les acteurs locaux dans une démarche volontaire de développement durable, complétant utilement le dispositif réglementaire.

  • Variabilité des approches juridiques nationales
  • Intégration aux systèmes d’aires protégées préexistants
  • Complémentarité entre outils réglementaires et contractuels
  • Enjeux spécifiques dans les États fédéraux

Défis juridiques liés à la gouvernance des réserves

La gouvernance des réserves de biosphère constitue un défi juridique majeur en raison de leur nature hybride, à la croisée des enjeux de conservation et de développement. La conception même de ces espaces, organisés en zones concentriques aux statuts différenciés, soulève des questions juridiques complexes quant à la cohérence du régime applicable.

L’un des enjeux principaux réside dans l’articulation entre les différentes échelles de décision. Le principe de subsidiarité suggère que les décisions devraient être prises au niveau le plus proche des citoyens, mais la préservation d’écosystèmes d’importance mondiale justifie parfois une intervention supranationale. Cette tension se manifeste dans les mécanismes de gouvernance où siègent des représentants d’institutions internationales, nationales, régionales et locales.

La participation des communautés locales et des peuples autochtones constitue une exigence fondamentale du modèle des réserves de biosphère. Pourtant, sa traduction juridique demeure souvent insuffisante. Si certains pays comme la Nouvelle-Zélande ont développé des modèles innovants reconnaissant des droits spécifiques aux Maoris dans la gestion des aires protégées, beaucoup de législations nationales n’offrent que des garanties procédurales minimales.

Le droit à l’information environnementale et le droit à la participation aux décisions, consacrés notamment par la Convention d’Aarhus (1998), devraient théoriquement faciliter l’implication des acteurs locaux. Toutefois, leur mise en œuvre effective dans le contexte des réserves de biosphère se heurte souvent à des obstacles pratiques : complexité technique des dossiers, faible accessibilité des instances de décision, ou consultation tardive des populations.

La résolution des conflits d’usage

Les conflits d’usage représentent une problématique récurrente dans les réserves de biosphère. L’ambition de concilier conservation et développement génère inévitablement des tensions entre différentes activités : tourisme, agriculture, sylviculture, pêche, ou encore urbanisation. Le cadre juridique doit prévoir des mécanismes adaptés pour résoudre ces conflits.

Les procédures de médiation environnementale, encore peu développées dans de nombreux pays, offrent une voie prometteuse. Elles permettent d’aborder les différends dans une logique de dialogue plutôt que d’affrontement judiciaire. Certaines réserves, comme celle du Mont Saint-Hilaire au Canada, ont expérimenté avec succès des dispositifs de médiation impliquant un tiers neutre pour faciliter la recherche de solutions consensuelles.

L’accès à la justice environnementale demeure néanmoins une garantie fondamentale. La question de l’intérêt à agir des associations de protection de l’environnement ou des usagers traditionnels des ressources naturelles reste cruciale. Les évolutions jurisprudentielles tendent progressivement à élargir cet intérêt à agir, facilitant ainsi le contrôle juridictionnel des décisions affectant les réserves de biosphère.

La problématique des compensations pour restrictions d’usage mérite une attention particulière. Lorsque la protection d’une réserve de biosphère entraîne des limitations significatives aux droits des propriétaires ou usagers, la question de l’indemnisation se pose. Les systèmes juridiques nationaux apportent des réponses variables, oscillant entre reconnaissance d’un droit à compensation et affirmation des limitations inhérentes au droit de propriété pour motif d’intérêt général environnemental.

  • Coordination complexe entre multiples niveaux de gouvernance
  • Reconnaissance juridique insuffisante des droits des communautés locales
  • Mécanismes de résolution des conflits d’usage à renforcer
  • Équilibre délicat entre droits individuels et protection collective

Régimes de responsabilité et sanctions en cas d’atteintes

La protection effective des réserves de biosphère repose en grande partie sur l’existence de mécanismes de responsabilité juridique dissuasifs et proportionnés en cas d’atteintes à leur intégrité. Ces mécanismes présentent une grande diversité selon les systèmes juridiques nationaux, reflétant des approches culturelles et politiques différentes face aux dommages environnementaux.

La responsabilité administrative constitue généralement le premier niveau de réponse. Elle se traduit par des mesures telles que le retrait d’autorisations, l’imposition d’amendes administratives ou l’obligation de remise en état. Dans de nombreux pays, les autorités environnementales disposent de pouvoirs de police leur permettant d’intervenir rapidement face aux infractions constatées dans le périmètre des réserves.

La responsabilité pénale représente un échelon supérieur de répression, mobilisé pour les atteintes les plus graves. Le droit pénal de l’environnement s’est considérablement développé ces dernières décennies, avec l’introduction d’infractions spécifiques visant à protéger la biodiversité. Des pays comme le Brésil ont adopté des législations particulièrement sévères, prévoyant des peines d’emprisonnement significatives pour les délits environnementaux commis dans des zones protégées, incluant les réserves de biosphère.

La responsabilité civile complète ce dispositif en permettant la réparation des préjudices causés. L’évolution récente du droit de la responsabilité dans plusieurs pays tend à faciliter la reconnaissance du préjudice écologique pur, c’est-à-dire le dommage causé directement à l’environnement, indépendamment des répercussions sur les intérêts humains. Cette avancée majeure ouvre la voie à des actions en réparation pour des atteintes à la biodiversité des réserves, même en l’absence de victimes humaines directes.

L’effectivité des sanctions

Au-delà de leur existence formelle, l’effectivité des sanctions pose question. Les études comparatives révèlent des disparités considérables dans l’application des dispositions répressives. Certains facteurs limitants incluent l’insuffisance des moyens de contrôle, la complexité des procédures ou encore la faible priorité accordée aux infractions environnementales par certaines autorités judiciaires.

Le cas emblématique de la réserve de biosphère de Calakmul au Mexique illustre ces difficultés. Malgré un cadre juridique théoriquement protecteur, cette réserve continue de subir des atteintes liées à l’exploitation forestière illégale et à l’expansion agricole non autorisée. La faible densité des agents de contrôle sur ce vaste territoire et les difficultés de coordination entre autorités fédérales et locales limitent considérablement l’efficacité des sanctions.

Face à ces défis, des approches innovantes émergent. La responsabilité sociale des entreprises (RSE) et les mécanismes volontaires comme la certification environnementale complètent utilement le dispositif coercitif traditionnel. Des entreprises opérant dans ou à proximité des réserves de biosphère s’engagent ainsi à respecter des standards environnementaux supérieurs aux exigences légales minimales, sous peine de sanctions réputationnelles ou commerciales.

La question de la responsabilité des États eux-mêmes mérite une attention particulière. En désignant un territoire comme réserve de biosphère, les États s’engagent moralement à assurer sa protection. Pourtant, les recours juridiques en cas de manquement à cette obligation restent limités. Le mécanisme d’examen périodique des réserves par l’UNESCO constitue une forme de contrôle, mais ses conséquences se limitent généralement à des recommandations non contraignantes ou, dans les cas extrêmes, au retrait du label.

  • Diversité des régimes de responsabilité (administrative, pénale, civile)
  • Émergence de la notion de préjudice écologique pur
  • Défis persistants dans l’application effective des sanctions
  • Complémentarité entre mécanismes contraignants et volontaires

Vers un renforcement du cadre juridique des réserves de biosphère

L’analyse du cadre juridique actuel des réserves de biosphère révèle des lacunes significatives qui appellent des réformes ambitieuses. Face aux menaces croissantes pesant sur ces territoires d’exception, le statu quo n’apparaît plus comme une option viable. Plusieurs pistes d’évolution se dessinent pour consolider la protection juridique de ces espaces.

L’adoption d’une convention internationale spécifique dédiée aux réserves de biosphère constituerait une avancée majeure. Un tel instrument, juridiquement contraignant, permettrait de dépasser les limites inhérentes au statut actuel, fondé sur des recommandations et orientations non obligatoires. Cette convention pourrait définir précisément les obligations des États en matière de protection, de financement et de gouvernance des réserves, tout en instaurant un mécanisme de contrôle efficace.

À défaut d’un nouvel instrument international, le renforcement des synergies entre conventions existantes offre une voie pragmatique. La création de protocoles additionnels à la Convention sur la diversité biologique ou à la Convention-cadre sur les changements climatiques, spécifiquement consacrés aux réserves de biosphère, permettrait d’ancrer plus solidement leur protection dans le droit international contraignant.

Au niveau national, l’harmonisation des législations représente un enjeu majeur. L’élaboration de lois-cadres reconnaissant explicitement le statut des réserves de biosphère et définissant un socle minimal de protection applicable à l’ensemble de leur territoire contribuerait à réduire l’hétérogénéité actuelle des approches. Des pays comme le Costa Rica ou l’Équateur ont déjà engagé ce type de réformes législatives globales.

Innovation juridique et nouveaux droits

Le développement de concepts juridiques innovants ouvre des perspectives prometteuses. La reconnaissance des droits de la nature, déjà consacrée dans certains ordres juridiques comme l’Équateur ou la Nouvelle-Zélande, pourrait offrir une protection renforcée aux écosystèmes des réserves de biosphère. Cette approche biocentrique, qui confère une personnalité juridique à des entités naturelles, permet d’envisager des actions en justice au nom même des écosystèmes menacés.

Le concept de fidéicommis environnemental (environmental trust) mérite également d’être exploré. Il s’agit de reconnaître que les ressources naturelles des réserves de biosphère constituent un patrimoine commun dont les générations actuelles sont les gardiennes pour les générations futures. Cette notion, développée notamment dans la jurisprudence indienne, impose aux États et aux acteurs privés des obligations fiduciaires renforcées.

L’intégration des savoirs traditionnels dans les dispositifs juridiques de protection représente un autre axe d’innovation. Les systèmes de gestion coutumière des ressources, développés par les communautés autochtones au fil des siècles, ont souvent permis une conservation efficace de la biodiversité. Leur reconnaissance juridique, à l’instar du système Tagal de gestion des rivières en Malaisie, enrichirait considérablement la palette d’outils disponibles.

Le développement de mécanismes financiers innovants constitue un complément nécessaire aux dispositifs réglementaires. Les paiements pour services écosystémiques (PSE), les obligations vertes dédiées aux réserves de biosphère ou encore les fonds fiduciaires de conservation permettent de mobiliser des ressources substantielles pour la protection de ces territoires. Ces instruments nécessitent toutefois un encadrement juridique adapté pour garantir leur transparence et leur efficacité.

La question de la responsabilité transfrontalière doit faire l’objet d’une attention particulière, notamment pour les réserves de biosphère partagées entre plusieurs pays. Des mécanismes juridiques permettant d’engager la responsabilité d’acteurs ayant causé des dommages transfrontaliers aux réserves doivent être développés, s’inspirant par exemple du principe pollueur-payeur déjà consacré en droit international de l’environnement.

  • Nécessité d’un instrument international contraignant
  • Harmonisation des législations nationales
  • Reconnaissance des droits de la nature
  • Développement de mécanismes financiers innovants

L’avenir des réserves de biosphère à l’ère des changements globaux

Les réserves de biosphère se trouvent aujourd’hui à un carrefour critique de leur histoire. Conçues comme des modèles d’équilibre entre l’homme et son environnement, elles font face à des défis sans précédent liés aux changements globaux. Le droit doit désormais intégrer cette dimension prospective pour garantir leur pérennité dans un monde en mutation rapide.

Le changement climatique représente probablement la menace la plus systémique pour ces territoires. Ses effets – modification des régimes de précipitations, augmentation des températures, événements météorologiques extrêmes – bouleversent les écosystèmes et remettent en question les délimitations spatiales établies. Face à cette réalité, le concept juridique de frontières mobiles des aires protégées émerge progressivement. Il s’agit de reconnaître que les limites des réserves pourraient devoir évoluer pour suivre le déplacement des habitats et des espèces sous l’effet du réchauffement.

La sécurité alimentaire mondiale constitue un autre enjeu majeur. Les pressions pour convertir des terres protégées en zones agricoles s’intensifient dans un contexte de croissance démographique. Le droit applicable aux réserves de biosphère doit donc intégrer des mécanismes permettant de concilier production alimentaire durable et conservation. Les concepts d’agroécologie et d’agriculture régénérative trouvent ici un terrain d’application privilégié, nécessitant des cadres juridiques adaptés.

La révolution numérique offre des opportunités inédites pour le monitoring et la gestion des réserves. L’utilisation de drones, de capteurs connectés ou d’intelligence artificielle permet une surveillance plus efficace et moins intrusive des écosystèmes. Toutefois, ces technologies soulèvent des questions juridiques complexes en matière de protection des données, de respect de la vie privée des communautés locales ou encore de souveraineté numérique sur les informations environnementales collectées.

Au-delà des frontières terrestres

L’extension du concept de réserve de biosphère aux milieux marins et côtiers représente une évolution prometteuse. Les réserves de biosphère marines se multiplient, mais leur encadrement juridique reste souvent embryonnaire. La complexité du droit de la mer, avec ses différentes zones de juridiction, complique leur mise en œuvre effective. Des innovations juridiques sont nécessaires pour adapter le modèle des réserves à ces environnements spécifiques, notamment en haute mer où le cadre juridique international demeure lacunaire.

La question des ressources génétiques présentes dans les réserves de biosphère mérite une attention particulière dans le contexte des biotechnologies avancées. Le Protocole de Nagoya (2010) sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages offre un cadre général, mais son application spécifique aux réserves de biosphère reste à préciser. Des dispositions juridiques adaptées sont nécessaires pour protéger ces ressources contre la biopiraterie tout en permettant une valorisation durable bénéficiant aux communautés locales.

L’émergence du concept de solutions fondées sur la nature (SFN) ouvre de nouvelles perspectives pour les réserves de biosphère. Ces territoires peuvent jouer un rôle majeur dans l’atténuation et l’adaptation au changement climatique grâce à leurs écosystèmes préservés. La valorisation juridique et économique des services écosystémiques qu’ils fournissent – séquestration du carbone, régulation hydrologique, protection contre les risques naturels – nécessite des cadres innovants alliant droit de l’environnement et instruments économiques.

Enfin, la montée en puissance des mouvements citoyens pour la justice environnementale transforme progressivement le paysage juridique. Les actions en justice climatique, les initiatives de science participative ou encore les démarches de désobéissance civile environnementale contribuent à faire évoluer le droit applicable aux réserves de biosphère. La reconnaissance du droit à un environnement sain comme droit humain fondamental, consacrée par plusieurs juridictions nationales et internationales, offre un levier supplémentaire pour renforcer leur protection.

  • Adaptation des cadres juridiques aux effets du changement climatique
  • Conciliation entre sécurité alimentaire et conservation
  • Encadrement juridique des nouvelles technologies de surveillance
  • Protection et valorisation des ressources génétiques

Perspectives juridiques transformatives pour un patrimoine mondial

L’évolution du droit des réserves de biosphère s’inscrit dans une transformation plus large de notre rapport juridique à la nature. Au-delà des ajustements techniques, c’est un changement de paradigme qui se dessine, appelant à repenser fondamentalement les catégories juridiques traditionnelles pour répondre aux défis écologiques contemporains.

Le concept de patrimoine mondial naturel, dans lequel s’inscrivent les réserves de biosphère, invite à dépasser les clivages traditionnels entre souveraineté nationale et préoccupation commune de l’humanité. Si le principe de souveraineté permanente sur les ressources naturelles demeure un pilier du droit international, il connaît aujourd’hui des inflexions significatives. La notion de souveraineté fonctionnelle, conditionnée par des obligations de conservation, offre une voie prometteuse pour concilier prérogatives étatiques et impératifs de protection globale.

La justice intergénérationnelle émerge comme un principe structurant pour l’avenir du droit applicable aux réserves. Les décisions juridictionnelles récentes, comme celle de la Cour constitutionnelle allemande en 2021 sur la loi climat, reconnaissent progressivement les droits des générations futures à hériter d’un patrimoine naturel préservé. Cette évolution jurisprudentielle pourrait fonder des obligations renforcées de protection des réserves de biosphère au nom des générations à venir.

L’approche par les communs environnementaux offre un cadre conceptuel renouvelé. Les réserves de biosphère, par leur zonage caractéristique et leur gouvernance participative, incarnent déjà partiellement cette vision des ressources naturelles comme biens communs. Le développement d’un droit des communs, distinct à la fois de la propriété privée et de la domanialité publique classique, pourrait offrir des outils juridiques adaptés à leur gestion collective et durable.

Refondation éthique et juridique

La reconnaissance de valeurs intrinsèques de la nature, au-delà de son utilité pour l’humain, gagne progressivement du terrain dans les systèmes juridiques contemporains. Cette évolution axiologique se traduit par l’émergence de nouveaux principes comme la non-régression environnementale, qui interdit tout recul significatif dans le niveau de protection juridique des écosystèmes, ou le principe de résilience, qui impose de préserver la capacité d’adaptation des systèmes naturels face aux perturbations.

Le dialogue entre systèmes juridiques occidentaux et traditions juridiques autochtones s’intensifie, enrichissant mutuellement ces corpus. Des concepts comme le Buen Vivir (bien vivre) des traditions andines ou le Kaitiakitanga maori (gardiennage) inspirent désormais certaines législations nationales et pourraient influencer l’évolution du cadre juridique des réserves de biosphère vers une approche plus holistique et relationnelle.

L’intégration du principe de précaution dans la gestion des réserves mérite d’être renforcée face aux incertitudes scientifiques persistantes. Ce principe, désormais reconnu en droit international et dans de nombreuses législations nationales, justifie l’adoption de mesures de protection même en l’absence de certitude scientifique absolue quant aux risques encourus. Son application aux réserves de biosphère pourrait notamment se traduire par des moratoires sur certaines activités potentiellement dommageables ou par l’inversion de la charge de la preuve pour les projets susceptibles d’affecter ces territoires.

Le développement d’une écocitoyenneté mondiale constitue peut-être l’horizon le plus ambitieux pour l’avenir juridique des réserves de biosphère. Ces territoires, reconnus par une organisation internationale mais ancrés dans des réalités locales, incarnent parfaitement la maxime « penser global, agir local ». L’émergence progressive d’un droit global de l’environnement, transcendant les frontières traditionnelles entre droit international, national et local, pourrait trouver dans les réserves de biosphère un laboratoire d’expérimentation privilégié.

Cette refondation juridique nécessite un engagement renouvelé de tous les acteurs : États, organisations internationales, collectivités territoriales, entreprises, communautés locales et société civile. Les réserves de biosphère, par leur approche intégrée et leur gouvernance participative, offrent un cadre propice à cette mobilisation collective au service d’un patrimoine naturel dont la préservation conditionne notre avenir commun.

  • Évolution du concept de souveraineté vers une responsabilité partagée
  • Reconnaissance juridique des droits des générations futures
  • Développement d’un droit des communs environnementaux
  • Vers une citoyenneté écologique mondiale