À l’aube de 2025, le paysage numérique continue sa mutation rapide, entraînant avec lui une évolution significative des cadres juridiques encadrant les activités des influenceurs. Entre partenariats commerciaux, placement de produits et recommandations rémunérées, ces nouveaux prescripteurs d’opinions font face à des responsabilités croissantes vis-à-vis des consommateurs. Décryptage des enjeux juridiques qui redéfinissent les contours de cette profession en pleine expansion.
L’évolution du statut juridique des influenceurs : vers une professionnalisation encadrée
La mutation du statut des influenceurs constitue l’un des phénomènes majeurs de ces dernières années. Initialement considérés comme de simples créateurs de contenu, ils sont désormais reconnus comme de véritables acteurs économiques soumis à des obligations légales spécifiques. La directive européenne 2023/47 relative aux pratiques commerciales dans l’environnement numérique, dont la transposition complète est prévue pour début 2025, vient renforcer cette tendance en établissant un cadre juridique plus précis.
Cette professionnalisation s’accompagne d’une reconnaissance officielle du métier d’influenceur. En France, depuis la loi du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale, ces créateurs de contenu disposent d’un statut juridique défini, impliquant des obligations déclaratives auprès des autorités fiscales et des organismes sociaux. Ce cadre législatif, encore en développement, devrait connaître des ajustements significatifs en 2025 avec l’adoption prévue de décrets d’application élargissant le champ des responsabilités.
Les plateformes numériques comme Instagram, TikTok ou YouTube ont également dû adapter leurs conditions générales d’utilisation pour intégrer ces nouvelles exigences réglementaires. Elles imposent désormais aux créateurs de contenu des obligations de transparence renforcées, sous peine de voir leur visibilité réduite algorithmiquement ou leur compte suspendu.
Transparence et loyauté : piliers du nouveau droit de la consommation numérique
Le principe de transparence s’impose comme l’élément central de la régulation des activités d’influence commerciale. Le Code de la consommation, enrichi par les dispositions spécifiques aux environnements numériques, exige désormais une identification claire et non équivoque des contenus publicitaires. Cette obligation se matérialise par l’utilisation de mentions explicites comme « partenariat rémunéré », « collaboration commerciale » ou « contenu sponsorisé ».
La jurisprudence récente de la Cour de Justice de l’Union Européenne (arrêt C-371/2023 du 15 novembre 2023) a d’ailleurs considérablement élargi la notion de « communication commerciale », englobant désormais les publications apparemment spontanées mais résultant d’un avantage économique, même indirect. Cette interprétation extensive vise à prévenir les formes de publicité déguisée particulièrement prévalentes dans l’écosystème des réseaux sociaux.
Les autorités de régulation disposent depuis 2024 de nouveaux pouvoirs d’investigation et de sanction. La DGCCRF en France et ses homologues européens peuvent désormais imposer des amendes pouvant atteindre 4% du chiffre d’affaires annuel des influenceurs en cas de manquements graves aux obligations de transparence. Des enquêtes récentes menées par ces autorités ont révélé que près de 40% des publications sponsorisées ne respectaient pas pleinement les exigences légales d’identification, comme le rapportent nos confrères de Presse Justice dans leur dossier sur la régulation numérique.
La responsabilité élargie concernant les allégations et recommandations de produits
L’année 2025 marque un tournant dans la responsabilisation des influenceurs quant au contenu de leurs recommandations. Le régime de responsabilité, auparavant limité aux cas de publicité mensongère caractérisée, s’étend désormais à une obligation de vérification préalable des allégations relatives aux produits ou services promus.
Cette évolution s’inspire du concept de « diligence raisonnable » développé dans plusieurs juridictions européennes. L’influenceur ne peut plus se contenter de relayer les arguments commerciaux fournis par la marque ; il doit procéder à une évaluation minimale de la véracité des allégations, particulièrement dans les secteurs sensibles comme la santé, la nutrition ou les produits financiers.
Le décret n°2024-157 du 12 février 2024 introduit notamment une présomption de responsabilité solidaire entre l’annonceur et l’influenceur en cas d’allégations trompeuses. Cette solidarité juridique implique que le créateur de contenu peut être poursuivi au même titre que la marque en cas de préjudice subi par le consommateur, avec des sanctions pénales pouvant atteindre deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende pour les cas les plus graves.
Les tribunaux français ont commencé à appliquer strictement ces dispositions, comme l’illustre la récente décision du Tribunal judiciaire de Paris (TJ Paris, 7e ch., 18 janvier 2024) condamnant une influenceuse à 50 000 euros d’amende pour avoir promu un complément alimentaire en lui attribuant des propriétés thérapeutiques non démontrées scientifiquement.
Les publics vulnérables : une protection renforcée face à l’influence commerciale
La protection des publics vulnérables, particulièrement les mineurs, constitue l’un des axes majeurs des réformes juridiques de 2025. Le règlement européen 2024/18 sur la protection des consommateurs dans l’environnement numérique introduit des restrictions spécifiques concernant les contenus d’influence destinés ou accessibles aux jeunes publics.
Ces dispositions interdisent notamment les techniques de marketing utilisant la pression sociale ou l’urgence artificielle, particulièrement efficaces sur les adolescents. Elles imposent également des contraintes strictes sur la promotion de certaines catégories de produits comme les boissons alcoolisées, les produits de jeux d’argent ou les compléments alimentaires à visée esthétique.
Les plateformes numériques sont également mises à contribution avec l’obligation d’implémenter des systèmes de vérification d’âge plus robustes et de proposer des paramètres par défaut limitant l’exposition des mineurs aux contenus commerciaux. Cette responsabilité partagée entre créateurs de contenu et plateformes constitue une innovation juridique majeure, reconnaissant l’écosystème numérique comme un environnement co-régulé.
L’Autorité de Régulation de la Communication Audiovisuelle et Numérique (ARCOM) a d’ailleurs publié en janvier 2025 des lignes directrices détaillant les bonnes pratiques attendues des influenceurs s’adressant à des publics comprenant des mineurs. Ce document, sans valeur contraignante directe, sert néanmoins de référence aux magistrats pour apprécier la responsabilité des créateurs de contenu en cas de litige.
Vers une responsabilité environnementale et sociale des influenceurs
L’année 2025 voit également émerger une dimension nouvelle de la responsabilité des influenceurs : celle liée aux impacts environnementaux et sociaux de leurs recommandations. La loi Climat et Résilience, dont les dispositions relatives à la publicité sont pleinement entrées en vigueur début 2025, impose désormais des obligations d’information sur l’empreinte carbone des produits promus.
Cette évolution législative s’accompagne d’une jurisprudence de plus en plus attentive au greenwashing dans les contenus d’influence. Plusieurs décisions récentes ont sanctionné des allégations environnementales excessives ou trompeuses relayées par des influenceurs, notamment dans les secteurs de la mode rapide et des produits cosmétiques.
Les actions collectives facilitées par la directive européenne 2023/2915 représentent une menace juridique nouvelle pour les influenceurs. Des associations de consommateurs ou de protection de l’environnement peuvent désormais engager des procédures groupées contre les créateurs de contenu promouvant des produits ou services ayant un impact environnemental ou social négatif sans information adéquate.
Cette responsabilisation croissante conduit à l’émergence d’un nouveau métier d’accompagnement : les conseillers juridiques spécialisés en influence responsable. Ces professionnels proposent aux créateurs de contenu des audits préventifs et des formations pour sécuriser leurs pratiques commerciales face à ce cadre réglementaire en constante évolution.
En définitive, l’année 2025 marque un tournant décisif dans l’encadrement juridique des activités d’influence commerciale. La reconnaissance du statut professionnel des influenceurs s’accompagne d’un régime de responsabilité étendu, couvrant désormais les dimensions économiques, sociales et environnementales de leurs recommandations. Cette évolution, si elle impose de nouvelles contraintes aux créateurs de contenu, contribue également à la légitimation et à la pérennisation de ce secteur d’activité en pleine expansion. Les prochains mois seront déterminants pour observer l’appropriation de ces nouvelles règles par l’ensemble des acteurs de l’écosystème numérique.