Protection juridique des énergies océaniques : cadre réglementaire et défis pour l’avenir

Les énergies océaniques représentent un potentiel considérable dans la transition énergétique mondiale. Alors que les technologies comme l’énergie houlomotrice, marémotrice et hydrolienne se développent, leur cadre juridique reste fragmenté et en construction. Ce domaine se situe à l’intersection du droit maritime, du droit de l’environnement et du droit de l’énergie, créant un enchevêtrement complexe de normes nationales et internationales. La protection juridique de ces énergies marines renouvelables soulève des questions fondamentales concernant la souveraineté des États, les droits d’exploitation, la protection environnementale et les mécanismes de soutien financier. Face à l’urgence climatique, les systèmes juridiques mondiaux tentent de s’adapter pour encadrer et stimuler ce secteur prometteur mais encore émergent.

Le cadre juridique international des énergies océaniques

Le développement des énergies océaniques s’inscrit dans un contexte juridique international dominé par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) de 1982. Ce texte fondamental définit les différentes zones maritimes et les droits souverains des États côtiers sur leurs ressources naturelles. Dans la zone économique exclusive (ZEE), qui s’étend jusqu’à 200 milles marins des côtes, les États disposent de droits souverains pour l’exploration et l’exploitation des ressources naturelles, y compris l’énergie tirée des courants marins, des vagues ou des marées.

Toutefois, la CNUDM ne mentionne pas explicitement les énergies marines renouvelables, ce qui crée une certaine ambiguïté juridique. Cette lacune est progressivement comblée par d’autres instruments internationaux. L’Accord de Paris sur le climat de 2015 joue un rôle moteur en encourageant le développement des énergies renouvelables, dont les énergies océaniques, pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

À l’échelle régionale, des initiatives juridiques plus spécifiques émergent. L’Union européenne a adopté plusieurs directives favorisant le développement des énergies marines, notamment la Directive 2018/2001 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables. Cette directive fixe des objectifs contraignants pour les États membres et encourage la coopération transfrontalière dans le développement des énergies marines.

Les organisations régionales comme la Commission OSPAR pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est ou la Commission d’Helsinki pour la protection de la mer Baltique ont adopté des recommandations spécifiques concernant l’implantation des installations d’énergies marines. Ces textes visent à concilier le développement de ces énergies avec la protection de l’environnement marin.

Soft law et standards internationaux

Au-delà du droit contraignant, un corpus important de soft law influence le cadre juridique des énergies océaniques. Les recommandations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) ou les standards de l’Organisation internationale de normalisation (ISO) contribuent à harmoniser les pratiques dans ce secteur. Ces normes techniques concernent la sécurité des installations, leur performance énergétique ou leur impact environnemental.

L’absence d’un cadre juridique international spécifique et unifié constitue un frein au développement des énergies océaniques. Les investisseurs sont confrontés à une mosaïque de règles nationales et internationales, ce qui accroît l’incertitude juridique et les risques financiers. Une harmonisation progressive des règles juridiques apparaît nécessaire pour favoriser l’essor de cette filière.

  • Droit applicable dans les différentes zones maritimes (mer territoriale, ZEE, plateau continental)
  • Accords multilatéraux sur l’environnement applicables
  • Mécanismes de coopération internationale pour le partage des technologies

Régimes d’autorisation et d’exploitation des installations d’énergies océaniques

L’implantation et l’exploitation d’installations d’énergies océaniques sont soumises à des régimes d’autorisation complexes qui varient considérablement selon les pays. Ces procédures administratives constituent souvent un parcours d’obstacles pour les porteurs de projets, en raison de la multiplicité des autorisations requises et des autorités compétentes.

En France, le développement des projets d’énergies marines s’inscrit dans le cadre de la planification spatiale maritime, élaborée conformément à la directive européenne 2014/89/UE. Les projets sont soumis à plusieurs autorisations, notamment une concession d’utilisation du domaine public maritime, une autorisation environnementale et une autorisation d’exploiter au titre du code de l’énergie. La procédure inclut des études d’impact environnemental approfondies et des consultations publiques, ce qui peut allonger considérablement les délais de réalisation.

Au Royaume-Uni, pionnier dans le développement des énergies marines, le Crown Estate joue un rôle central en tant que gestionnaire des fonds marins. Il délivre des baux pour l’utilisation de l’espace maritime à des fins énergétiques. Le système britannique se caractérise par une approche plus centralisée, avec la Marine Management Organisation comme guichet unique pour les autorisations environnementales et maritimes. Cette simplification administrative a contribué au dynamisme du secteur outre-Manche.

Aux États-Unis, la situation est plus complexe en raison du partage des compétences entre le niveau fédéral et les États. Le Bureau of Ocean Energy Management (BOEM) est responsable de l’attribution des concessions en mer fédérale (au-delà de 3 milles nautiques), tandis que les États conservent l’autorité sur leurs eaux territoriales. Cette dualité crée parfois des conflits de compétence et ralentit le développement des projets.

Durée et stabilité des droits d’exploitation

La question de la durée des droits d’exploitation est fondamentale pour la viabilité économique des projets d’énergies océaniques. Ces installations nécessitent des investissements initiaux considérables, avec des périodes d’amortissement longues. Les régimes juridiques doivent donc offrir une stabilité suffisante pour sécuriser les investissements.

La plupart des pays accordent des concessions pour des périodes de 25 à 30 ans, parfois renouvelables. Certains systèmes juridiques, comme celui du Danemark, prévoient des mécanismes de prolongation conditionnelle des autorisations, liés aux performances environnementales et énergétiques des installations. Cette approche permet d’inciter les opérateurs à maintenir et améliorer leurs équipements tout au long de la période d’exploitation.

La question du démantèlement des installations en fin de vie constitue un enjeu juridique majeur. Les législations nationales imposent généralement aux opérateurs de provisionner les coûts de démantèlement et de restauration du site. En Allemagne, par exemple, les exploitants doivent fournir des garanties financières dès l’obtention de l’autorisation pour assurer le démantèlement futur de leurs installations.

  • Procédures administratives et études préalables requises
  • Mécanismes de consultation des parties prenantes
  • Garanties financières et obligations de démantèlement

Protection environnementale et conflits d’usage en milieu marin

Le développement des énergies océaniques soulève d’importants enjeux environnementaux que le droit doit appréhender. Si ces énergies contribuent à la lutte contre le changement climatique, leurs installations peuvent avoir des impacts sur les écosystèmes marins. Le cadre juridique doit donc trouver un équilibre entre promotion des énergies renouvelables et protection de la biodiversité marine.

La directive européenne 2014/52/UE relative à l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement impose la réalisation d’études d’impact environnemental approfondies pour les installations d’énergies marines. Ces études doivent analyser les effets potentiels sur la faune et la flore marines, les habitats, la qualité de l’eau, mais aussi les impacts cumulés avec d’autres activités maritimes.

Le principe de précaution, consacré dans de nombreux textes internationaux et nationaux, joue un rôle central dans l’encadrement juridique des énergies océaniques. Il impose aux porteurs de projets de prendre des mesures préventives même en l’absence de certitude scientifique absolue sur les risques environnementaux. Ce principe se traduit concrètement par l’obligation d’adopter une approche progressive, avec des phases de test et de surveillance environnementale continue.

La directive-cadre stratégie pour le milieu marin (2008/56/CE) fixe l’objectif d’atteindre ou de maintenir un bon état écologique du milieu marin d’ici 2020. Les installations d’énergies océaniques doivent s’inscrire dans ce cadre et contribuer à l’atteinte de cet objectif. Certains pays, comme la France, ont mis en place des mesures spécifiques comme les zones de protection forte où les activités humaines, y compris énergétiques, sont strictement encadrées.

Gestion des conflits d’usage

L’implantation d’installations d’énergies océaniques peut entrer en conflit avec d’autres usages traditionnels de l’espace maritime, notamment la pêche, le transport maritime, le tourisme ou les activités militaires. Le droit doit fournir des mécanismes efficaces pour prévenir et résoudre ces conflits.

La planification spatiale maritime, rendue obligatoire par la directive européenne 2014/89/UE, constitue un outil juridique majeur pour organiser la cohabitation entre les différentes activités en mer. Elle permet d’identifier les zones les plus propices au développement des énergies océaniques tout en préservant les autres usages. Les documents stratégiques de façade en France ou les marine spatial plans au Royaume-Uni traduisent cette approche intégrée de la gestion de l’espace maritime.

Certains pays ont développé des mécanismes de compensation pour les usagers traditionnels de la mer affectés par l’implantation d’installations énergétiques. Au Danemark, par exemple, des fonds spécifiques permettent d’indemniser les pêcheurs pour la perte de zones de pêche. En Écosse, des programmes de formation sont proposés aux pêcheurs pour faciliter leur reconversion dans la maintenance des installations d’énergies marines.

  • Mécanismes d’évaluation des impacts environnementaux
  • Outils de planification spatiale maritime
  • Systèmes de compensation pour les usagers traditionnels

Mécanismes de soutien économique et juridique aux énergies océaniques

Le développement des technologies d’énergies océaniques nécessite des investissements considérables en recherche et développement avant d’atteindre la maturité commerciale. Face à ce défi, les systèmes juridiques ont élaboré divers mécanismes de soutien économique pour encourager l’innovation et faciliter le déploiement de ces technologies.

Les tarifs d’achat garantis (feed-in tariffs) constituent l’instrument le plus répandu. Ils assurent aux producteurs d’électricité issue des énergies océaniques un prix d’achat stable et supérieur au prix du marché pendant une période déterminée, généralement 15 à 20 ans. En France, l’arrêté tarifaire du 6 mai 2017 fixe un tarif d’achat spécifique pour l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie houlomotrice, marémotrice ou hydrolienne. Ce mécanisme réduit considérablement l’incertitude financière pour les investisseurs.

Les contrats pour différence (contracts for difference), mis en œuvre notamment au Royaume-Uni, représentent une évolution sophistiquée des tarifs d’achat. Dans ce système, le producteur vend son électricité sur le marché mais reçoit ou verse une compensation selon que le prix du marché est inférieur ou supérieur à un prix de référence contractuel. Ce mécanisme permet de garantir une rentabilité stable tout en intégrant progressivement ces énergies au marché.

Les appels d’offres spécifiques pour les énergies océaniques constituent un autre levier juridique majeur. Ils permettent aux autorités publiques de sélectionner les projets les plus performants sur des critères techniques, économiques et environnementaux. En France, l’État a lancé plusieurs appels d’offres pour des fermes pilotes hydroliennes, notamment dans le Raz Blanchard et le passage du Fromveur. Ces procédures s’accompagnent souvent de cahiers des charges détaillés qui contribuent à structurer juridiquement la filière.

Soutien à l’innovation et au développement industriel

Au-delà du soutien à la production d’électricité, les cadres juridiques prévoient des mécanismes d’aide à la recherche et développement. Les programmes européens comme Horizon Europe intègrent des volets spécifiques pour les énergies océaniques, avec des budgets dédiés. À l’échelle nationale, des dispositifs comme le Crédit Impôt Recherche en France ou les Innovation Grants au Royaume-Uni facilitent le financement des phases précommerciales.

La création de zones d’essai dédiées, bénéficiant d’un cadre réglementaire adapté, constitue une innovation juridique majeure pour accélérer le développement des énergies océaniques. Le site d’essai de Paimpol-Bréhat en France ou l’European Marine Energy Centre (EMEC) en Écosse offrent aux développeurs des infrastructures mutualisées et des procédures administratives simplifiées pour tester leurs technologies en conditions réelles.

Certains pays ont mis en place des clusters industriels soutenus juridiquement par des dispositifs fiscaux et réglementaires favorables. Le pôle Mer Bretagne Atlantique en France ou le Marine Energy Wales au Royaume-Uni bénéficient ainsi de cadres juridiques spécifiques facilitant la collaboration entre recherche publique et entreprises privées dans le domaine des énergies océaniques.

  • Mécanismes de soutien financier (tarifs d’achat, primes, appels d’offres)
  • Dispositifs fiscaux favorables pour la R&D
  • Cadres réglementaires adaptés pour les sites d’essai

Perspectives d’évolution du cadre juridique face aux défis futurs

Le cadre juridique des énergies océaniques se trouve à un carrefour critique. Son évolution devra répondre à plusieurs défis majeurs pour permettre le déploiement à grande échelle de ces technologies. La simplification et l’harmonisation des procédures administratives apparaissent comme des priorités absolues pour réduire les délais de développement des projets, qui peuvent actuellement atteindre 7 à 10 ans.

La directive européenne 2018/2001 relative aux énergies renouvelables a introduit le principe du « guichet unique » pour les autorisations, avec des délais maximaux de traitement des demandes. Cette approche devrait être renforcée et généralisée. Certains pays comme le Portugal ont déjà mis en place des procédures accélérées pour les projets d’énergies océaniques dans des zones préalablement identifiées comme favorables, réduisant ainsi considérablement les délais administratifs.

L’évolution du droit devra intégrer les avancées technologiques rapides dans ce secteur. Les installations flottantes, les systèmes multi-énergies combinant plusieurs technologies marines ou les fermes énergétiques hybrides associant éolien en mer et énergie des vagues posent de nouveaux défis juridiques. Le cadre réglementaire devra faire preuve de flexibilité pour s’adapter à ces innovations sans freiner leur développement.

La question de la propriété intellectuelle constitue un enjeu juridique majeur pour l’avenir des énergies océaniques. Le juste équilibre entre protection des innovations et diffusion des technologies est difficile à trouver. Des mécanismes comme les licences obligatoires pour certaines technologies fondamentales ou les patent pools (mise en commun de brevets) pourraient être davantage développés pour accélérer le déploiement de ces énergies.

Vers une gouvernance internationale renforcée

Le développement des énergies océaniques en haute mer, au-delà des zones de juridiction nationale, soulève des questions juridiques inédites. Le récent Traité sur la biodiversité marine au-delà des juridictions nationales (BBNJ), adopté en mars 2023, pourrait avoir des implications significatives pour les futures installations énergétiques en haute mer. Ce traité prévoit des mécanismes d’évaluation d’impact environnemental et de partage des bénéfices qui devront être articulés avec le développement des énergies océaniques.

La montée des tensions géopolitiques autour des espaces maritimes constitue un défi pour le développement sécurisé des énergies océaniques. Les installations énergétiques en mer peuvent devenir des cibles stratégiques ou être affectées par des conflits de souveraineté. Le droit international devra renforcer la protection de ces infrastructures énergétiques, en s’inspirant éventuellement des régimes de protection des câbles sous-marins ou des plateformes pétrolières.

Enfin, l’émergence de marchés internationaux de l’électricité verte nécessitera des cadres juridiques adaptés pour la certification et les échanges d’électricité produite à partir d’énergies océaniques. Des systèmes comme les garanties d’origine devront être harmonisés au niveau international pour faciliter la valorisation de cette électricité bas-carbone sur les marchés mondiaux.

  • Évolutions nécessaires des procédures d’autorisation
  • Adaptation du cadre juridique aux innovations technologiques
  • Renforcement de la protection juridique des installations en mer

Vers un droit spécifique aux énergies océaniques?

La question de l’émergence d’un droit spécifique aux énergies océaniques se pose avec acuité. Actuellement, ces énergies sont régies par un assemblage de règles issues de différentes branches du droit (maritime, environnemental, énergétique). Cette fragmentation nuit à la cohérence et à l’efficacité du cadre juridique.

Certains experts plaident pour l’élaboration d’une convention internationale dédiée aux énergies marines renouvelables, qui établirait des principes communs tout en respectant les spécificités régionales. Une telle convention pourrait s’inspirer du modèle de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), en se concentrant spécifiquement sur les enjeux océaniques.

À défaut d’un traité international, le développement de codes de bonnes pratiques et de lignes directrices par des organisations comme l’Ocean Energy Europe ou l’International Electrotechnical Commission (IEC) contribue à l’émergence progressive d’un corpus juridique adapté aux spécificités des énergies océaniques. Ces normes volontaires peuvent préfigurer de futures règles contraignantes.